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27/07/2009 Les Echos : Pourquoi les banques calculent-elles un coût du risque ?

Lorsque les banques présentent leurs comptes de résultat, une ligne sur laquelle on passe pour aller directement au résultat net devrait plus attirer notre attention, il s’agit du «coût du risque». Son montant est, spécialement en ces temps de crise, important et peut faire plonger les comptes dans le rouge. Mais au-delà de cet impact comptable, posons une question toute simple : pourquoi n’y a-t-il que les banques qui la calculent ?

La banque est un métier risqué, mais vendre des voitures également. Renault présente-t-il ses comptes avec une ligne «coût du risque» ? Non. Eh bien faisons-en l’hypothèse, imaginons un coût du risque d’un milliard d’euros (qui diminuerait donc d’autant le résultat net). Les analystes financiers demanderaient alors au dirigeant du constructeur automobile d’où vient cette ligne, et lui de répondre qu’il s’agit de tenir compte de la mévente inattendue de certains modèles… Inspirerait-il confiance ? Poussons notre jeu un peu plus loin et imaginons que les ingénieurs du bureau d’études soient payés en fonction des ventes, avec à la clé des bonus de plusieurs millions d’euros si le modèle fait un carton. Le design et les fonctionnalités des Renault deviendraient beaucoup plus audacieux, avec peut être quelques belles réussites, mais aussi des échecs retentissants. Les ventes de l’entreprise deviendraient plus volatiles, sa rentabilité plus précaire et quelques modèles ratés à la suite la mettraient en faillite. On vient de décrire, chacun l’aura compris, le système bancaire mondial tel qu’il fonctionne.

Alors pourquoi Renault, enfin toutes les sociétés sauf les banques, ne calculent-elles pas de coût du risque ? Ne s’en soucient-elles pas ? Non bien sûr. La raison est toute simple : le risque n’est pas séparé de l’activité même de l’entreprise. Il n’y a pas un produit conçu et fabriqué d’une part, et un risque calculé d’autre part, les deux sont pensés ensemble. Renault mobilise à chaque étape tous ses moyens pour faire le mieux possible, tout en sachant que l’accueil des clients sera plus ou moins conforme à ses espérances. Les constructeurs de ponts n’ont pas d’un côté une équipe de designers fantasques payés au bonus et, de l’autre, une cellule de calcul de résistance des matériaux (sinon le moindre problème de communication entre eux se traduirait par l’écroulement de l’ouvrage), tout est conçu en même temps, les équipes sont mêlées, pour notre plus grande sécurité.

Dans le secteur financier, par contre, les produits financiers sont bâtis sur une dichotomie fondamentale : le rendement et le risque. Ces deux données peuvent être séparées puis additionnées, c’est le cœur de la théorie classique de la finance depuis Markowitz et Sharpe, et qui est reprise aujourd’hui dans la VaR (Value at Risk), l’outil de calcul des risques des banques. Même si des chercheurs ont critiqué ce modèle (Benoît Mandelbrot, Nassim Taleb notamment) et si les banquiers sont en partie conscients de ses limitations, le cadre mental issu de cette théorie perdure, le risque peut être autonomisé, réifié, globalisé, d’où, au final, l’apparition de la ligne coût du risque. On comprend désormais que le problème est mal posé depuis le début, que demander un meilleur contrôle des risques ne résoudra pas les problèmes de faillites ni les crises systémiques récurrentes. C’est le fait même qu’il existe une division des risques autonome, distincte des autres fonctions de la banque, qui cloche, qui prouve que la finance boite sur deux jambes. La ligne coût du risque c’est l’illusion de tenir la mèche du baril de poudre sur lequel on est assis. C’est l’autonomisation du risque qui est en cause et se guérir de cette erreur passera par la déconstruction de la théorie classique de la finance et la mise en place d’une approche qui fera du risque le compagnon de tous les jours, de toutes les actions, plutôt que l’invité gênant que l’on rejette au fond de la salle.

Philippe Herlin