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31/08/2009 ACDEFI : Pourquoi les traders sont-ils autant payés ?

Les chefs de gouvernements veulent inscrire au programme du sommet du G20, le 24 septembre à Pittsburgh, la limitation de la rémunération des opérateurs de marché. Au-delà de la volonté de désigner des boucs émissaires, quelle serait la justification d’une telle mesure ? Les banquiers ne sont pas des philanthropes, s’ils payent autant certains de leurs traders c’est parce qu’ils leur rapportent beaucoup plus. Alors pourquoi limiter leurs émoluments ?

En réalité, les fortes rémunérations de certains traders ne sont que le symptôme d’un problème plus profond, celui du retard et des errements de la théorie classique de la finance. Chacun peut le constater dans les salles de marché, les résultats fournis par les modèles tournant sur les ordinateurs ne constituent, pour les habitués, qu’un point de départ. Encore faut-il ensuite savoir enrichir son jugement pour interpréter à son profit des résultats que d’autres, moins aguerris, seront plus tentés de suivre. Les traders qui gagnent jouent moins contre le marché que contre ceux qui croient à l’efficience des marchés et aux modèles usuels. Warren Buffet aime dire en plaisantant qu’il subventionnerait volontiers des chaires universitaires sur l’efficience des marchés afin que les financiers soient toujours aussi mal formés et qu’il continue ainsi de les plumer ! Voilà où réside la valeur des financiers et des traders qui gagnent des millions : mieux comprendre le marché grâce à leur expérience et à leur intuition, et par l’analyse de données négligées par ailleurs.

Avec la crise, la prise de conscience se fait progressivement comme en témoigne, exemple notable, le rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI) qui s’attaque à l’un des fondements de la théorie classique de la finance (page 10) : « L’hypothèse naturelle, car la plus simple, est de supposer – pour la plupart des types d’actifs – que les rendements sont distribués selon une loi dite normale, ce qui implique des queues de distribution minces. Et, même si les événements extrêmes sont rares, en réalité, ils sont plus fréquents que ne le laisse supposer la courbe dite normale. » Bigre, voilà trente ans que Benoît Mandelbrot explique cela ! Qu’attend-on pour réévaluer les fondements de la théorie de la finance ?

Les forces du statu quo sont nombreuses, de l’enseignement académique à l’informatique financière en passant par le poids des habitudes, mais elles sont d’abord mentales. Il faut repenser la finance en partant à la base pour éviter que la compréhension des marchés financiers ne soit l’apanage de quelques-uns mais devienne un savoir mieux partagé.

Philippe Herlin